Les marocains, de « la marche verte » à «la Marche Bleue » ?
achamilapress : par /Docteur Jaouad MABROUKI, Expert en psychanalyse de la société marocaine et arabe
J’observe les changements des pays arabes y compris le Maroc, depuis les débuts du printemps arabe. J’ai ainsi remarqué ces dernières années que les marocains tentent d’exprimer leurs malaises et leurs conditions difficiles à travers des manifestations dans les rues. Evidemment, ils ont vite compris que ces manifestations induisaient des affrontements violents avec les forces de l’ordre et une partie de la population. Ainsi, par peur de dérives qui avortent les objectifs des manifestations et que le risque de perdre tous les avancements démocratiques déjà atteints, les marocains ont décidé de changer les supports classiques.
Ceci prouve la capacité d’apprentissage des marocains des expériences douloureuses et décevantes des autres pays arabes. Ils ont effectivement préféré préserver la sécurité et l’unité sociale et nationale, d’autant plus qu’ils observent bien le travail de fourmis de la démocratisation entrain d’avancer au Maroc par rapport aux autres pays arabes.
Ceci ne veut pas dire que les marocains sont restés les bras croisés, au contraire, ils continuent d’agir et d’espérer une démocratisation satisfaisante. Ainsi, ils ont inventé plusieurs moyens de manifester, mais pacifiquement et sans violence, en utilisant les réseaux sociaux ou « le monde bleu ». Dans cette nouvelle expérience, les manifestations des marocains sont passées par plusieurs étapes progressives, en commençant par des actions individuelles pour finir par une action collective et nationale.
- Première période « manifestations individuelles »
- Etape des plaintes par facebook
Timidement certains marocains ont commencé à publier leurs doléances de la vie quotidienne. Les premiers posts ont connu le phénomène de buzz. Suite à cela, le marocain a découvert un moyen de faire entendre sa voix individuellement et sans le recours à la rue pour se manifester. Rapidement, les posts se sont pullulés au point que personne n’en prête plus attention.
- Etape de vidéo exprimant « la hogra »
Après l’expérience des posts écrits, certains marocains sont passés à l’étape suivante, filmer des déclarations de leurs doléances et les publier sur FB. Dans ces vidéos, individuellement, chacun exprime comment il est traité moins bien qu’un être humain sans être considéré comme un citoyen, dans les administrations ou dans les hôpitaux par exemple. Ainsi, la vidéo est devenue la preuve matérielle du vécu douloureux du citoyen. Ces vidéos ont connu au début un énorme succès. Après le buzz, des milliers de vidéos étaient postées et ont perdu leurs influences.
- Etape de publication des scandales
Les marocains se sont rendus compte que les posts écrits et les vidéos ne révèlent que les victimes de la hogra, sans réparations, sans les changements attendus et espérés. Ainsi le marocain est passé à l’étape supérieure en filmant avec clarté des fonctionnaires en flagrant délit, avant de publier ces vidéos dans le monde bleu, afin que les responsables constatent de leurs propres yeux ce que subit le citoyen comme injustice. Au début, ces vidéos ont fait le buzz et grâce à elles, des fonctionnaires ont été suivi par la justice pour des pots de vin ou bien d’abus de pouvoir.
Mais encore une fois de plus, dans cette étape, la voix de toutes les victimes n’a pas été entendue. Ces vidéos se sont multipliées énormément et ont rapidement perdu le poids qu’elles avaient au départ.
- Deuxième période « manifestation collective »
Après toutes ces étapes de la première période, les marocains ont compris pourquoi leurs manifestations dans le monde bleu n’ont pas atteint les buts attendus. Alors, ils ont compris que toutes ces manifestations étaient initiées à l’échelle individuelle et ne bénéficiaient pas d’une coordination collective.
Ainsi, les marocains sont passés récemment à une manifestation collective et nationale à travers le boycottage de certains produits alimentaires. Cette récente manifestation a eu un impact visible sur l’économie et la politique du pays, mais aussi, elle a uni de façon nationale les marocains, comme s’ils étaient tous descendus dans la rue à la même heure et le même jour pour exprimer les mêmes revendications.
Lorsque j’ai observé l’euphorie des citoyens à l’échelle nationale sur les pages FB, j’ai compris qu’ils étaient heureux de réaliser une victoire collective. Ceci m’a rappelé le souvenir de la jubilation des marocains lors des débuts de la marche verte en 1975.
J’ai alors commencé à me demander, s’agit-il du début d’une nouvelle version de la marche verte, mais en bleu cette fois-ci ? S’agit-il d’une nouvelle expression de la volonté des marocains à se libérer de la hogra et de récupérer « le sahara de la démocratie »?